jeudi 12 juin 2014

Didier Ben Loulou, artiste en résidence du 5 juin au 5 juillet 2014.














































































































 
© Melania Avanzato




Didier Ben Loulou vit à Jérusalem. De 1981 à 1989 il séjourne pour la première fois à Tel-Aviv. Il y tient une sorte de répertoire photographique de l'espace urbain et maritime. Il fait alors la découverte d'un lieu, tout proche de la grande ville, moins fréquenté, plus mystérieux, à l’étrange et séduisante configuration : Jaffa et le quartier en ruine d'Adjami.

Il attendra plus de vingt ans avant de lui consacrer un livre, dévoilant de la sorte un versant occulté de la mémoire d’Israël. Jaffa, la passe (Filigrane Éditions) paraît donc en 2006, accompagné d’un récit de Caroline Fourgeaud-Laville. En 1993, il décide de s'établir à Jérusalem, devenue, depuis lors, le point d'ancrage de son œuvre. Les méandres de la vieille ville, la violence, la diversité des origines et la pluralité des appartenances de ses habitants constituent son territoire d'exploration. Déambulant au sein de cette complexité humaine, faisant preuve d’une intense curiosité, d’une sensibilité vigilante et lucide, il trace le portrait changeant d'une cité aux multiples frontières. La somme de cette quête, Jérusalem, réunissant plus de quinze ans d’images, sera éditée (Éditions du Panama) en 2008.

Son chemin croise celui d'Emmanuel Levinas à l'occasion de deux publications : la première, en 1996, lorsque Bruno Roy lui propose d'accompagner photographiquement le très beau texte du philosophe, Violence du visage, pour les Éditions Fata Morgana ; en 2004, avec Sincérité du visage dont le texte est signé de Catherine Chalier, grande exégète du penseur de l'altérité. Cet ouvrage, bien qu'inscrit dans la lignée levinassienne, ouvre cependant de nouvelles perspectives quant à l'interprétation des visages ; ambiguës, les images de Didier Ben Loulou révèlent la corruption des regards et celle, non moins évidente, de principes établis, qui voudraient enfermer le bien et le mal dans des définitions manichéennes.

Au lendemain de la deuxième Intifada, laissant loin derrière lui le tumulte de la guerre, Didier Ben Loulou entame un nouveau travail photographique en arpentant de vieux cimetières juifs des environs de Jérusalem et de Galilée. Sur ces collines arides, des stèles oubliées, des fragments de textes ou des livres abandonnés sont autant d’indices à déchiffrer, autant de signes invitant à réfléchir sur toute vie appelée à disparaître. Cette mémoire des lettres – multiséculaire – a nourri l’imaginaire de l’artiste. Ici, la lettre hébraïque entretient depuis la nuit des temps une relation silencieuse avec le désert de Judée. Là où vécurent les prophètes de la Bible, Didier Ben Loulou a réalisé un ensemble de photographies magistrales ; empreintes de poésie et de patience, elles tentent de nous donner à voir l’invisible : Mémoire des lettres, textes de Catherine Chalier et Betty Rojtman (Éditions de La Table Ronde, 2012).

Entre 2006 et 2009, il séjourne à Athènes ; en parcourant ce haut lieu de civilisation, il entrevoit certes les restes de l'ancienne Attique, mais il la confronte à la modernité. Il fait de la pollution, de la destruction et de l’immigration de masse les véritables enjeux d’une mise en perspective qui part des ruines antiques pour rejoindre ces nouveaux territoires sur lesquels vivent et travaillent des populations d’immigrés et des gens du voyage : rencontre du tiers-monde avec celle du quart-monde à la périphérie de la capitale. Didier Ben Loulou mène là une sorte d’enquête, à caractère social, explorant la « marchandisation » des êtres et des corps, de l’exil, de l’errance et de la pauvreté. Comme à Jaffa (1983-1989), à Jérusalem (1991-2006), le photographe n’a de cesse de questionner les mythes fondateurs des villes en confrontant ceux-ci à l’incertitude et à la fragilité du monde actuel.  

Lauréat de la Villa Médicis hors les murs, Didier Ben Loulou a obtenu une bourse du Fiacre (Fonds d’Art contemporain) puis a été récompensé par la European Association for Jewish Culture, Visual Arts Grant, Paris/Londres. En 2007, un fonds a été ouvert à l’Imec où se trouve désormais l’ensemble de ses archives.

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