© Melania Avanzato |
Didier Ben
Loulou vit à Jérusalem. De 1981 à 1989 il séjourne pour la première fois
à Tel-Aviv. Il y tient une sorte de répertoire photographique de
l'espace urbain et maritime. Il fait alors la découverte d'un lieu, tout
proche de la grande ville, moins fréquenté, plus mystérieux, à
l’étrange et séduisante configuration : Jaffa et le quartier en ruine
d'Adjami.
Il attendra plus de vingt ans avant de
lui consacrer un livre, dévoilant de la sorte un versant occulté de la
mémoire d’Israël. Jaffa, la passe (Filigrane Éditions) paraît donc en
2006, accompagné d’un récit de Caroline Fourgeaud-Laville. En 1993, il
décide de s'établir à Jérusalem, devenue, depuis lors, le point
d'ancrage de son œuvre. Les méandres de la vieille ville, la violence,
la diversité des origines et la pluralité des appartenances de ses
habitants constituent son territoire d'exploration. Déambulant au sein
de cette complexité humaine, faisant preuve d’une intense curiosité,
d’une sensibilité vigilante et lucide, il trace le portrait changeant
d'une cité aux multiples frontières. La somme de cette quête, Jérusalem,
réunissant plus de quinze ans d’images, sera éditée (Éditions du
Panama) en 2008.
Son chemin croise celui d'Emmanuel
Levinas à l'occasion de deux publications : la première, en 1996,
lorsque Bruno Roy lui propose d'accompagner photographiquement le très
beau texte du philosophe, Violence du visage, pour les Éditions Fata
Morgana ; en 2004, avec Sincérité du visage dont le texte est signé de
Catherine Chalier, grande exégète du penseur de l'altérité. Cet ouvrage,
bien qu'inscrit dans la lignée levinassienne, ouvre cependant de
nouvelles perspectives quant à l'interprétation des visages ; ambiguës,
les images de Didier Ben Loulou révèlent la corruption des regards et
celle, non moins évidente, de principes établis, qui voudraient enfermer
le bien et le mal dans des définitions manichéennes.
Au lendemain de la deuxième Intifada,
laissant loin derrière lui le tumulte de la guerre, Didier Ben Loulou
entame un nouveau travail photographique en arpentant de vieux
cimetières juifs des environs de Jérusalem et de Galilée. Sur ces
collines arides, des stèles oubliées, des fragments de textes ou des
livres abandonnés sont autant d’indices à déchiffrer, autant de signes
invitant à réfléchir sur toute vie appelée à disparaître. Cette mémoire
des lettres – multiséculaire – a nourri l’imaginaire de l’artiste. Ici,
la lettre hébraïque entretient depuis la nuit des temps une relation
silencieuse avec le désert de Judée. Là où vécurent les prophètes de la
Bible, Didier Ben Loulou a réalisé un ensemble de photographies
magistrales ; empreintes de poésie et de patience, elles tentent de nous
donner à voir l’invisible : Mémoire des lettres, textes de Catherine
Chalier et Betty Rojtman (Éditions de La Table Ronde, 2012).
Entre 2006 et 2009, il séjourne à
Athènes ; en parcourant ce haut lieu de civilisation, il entrevoit
certes les restes de l'ancienne Attique, mais il la confronte à la
modernité. Il fait de la pollution, de la destruction et de
l’immigration de masse les véritables enjeux d’une mise en perspective
qui part des ruines antiques pour rejoindre ces nouveaux territoires sur
lesquels vivent et travaillent des populations d’immigrés et des gens
du voyage : rencontre du tiers-monde avec celle du quart-monde à la
périphérie de la capitale. Didier Ben Loulou mène là une sorte
d’enquête, à caractère social, explorant la « marchandisation » des
êtres et des corps, de l’exil, de l’errance et de la pauvreté. Comme à
Jaffa (1983-1989), à Jérusalem (1991-2006), le photographe n’a de cesse
de questionner les mythes fondateurs des villes en confrontant ceux-ci à
l’incertitude et à la fragilité du monde actuel.
Lauréat de la Villa Médicis hors les
murs, Didier Ben Loulou a obtenu une bourse du Fiacre (Fonds d’Art
contemporain) puis a été récompensé par la European Association for
Jewish Culture, Visual Arts Grant, Paris/Londres. En 2007, un fonds a
été ouvert à l’Imec où se trouve désormais l’ensemble de ses archives.
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